Cette situation s'inscrit plus globalement dans un contexte industriel morose au niveau européen. En effet, depuis la crise économique de 2008, la production industrielle au sein des vingt-sept États membres a diminué de 10 % et plus de trois millions d'emplois liés au secteur industriel ont été perdus.
Depuis 2009, les principales réponses européennes à la crise ont visé à améliorer la capacité d'emprunt des États sur les marchés financiers par la consécration juridique d'une discipline budgétaire.
Pour parvenir à ces objectifs de discipline budgétaire, d'énormes réductions de dépenses publiques ont été opérées avec des effets souvent négatifs sur les politiques de relance telles que préconisées dans la stratégie EU 2020, pourtant nécessaires pour sortir l'Europe de la crise.
Pour les auteurs, s'il est clair que la rigueur budgétaire et la maîtrise des dépenses publiques sont indispensables à la viabilité de l'économie des États membres de l'Union européenne et de la zone euro, une politique d'austérité aveugle est économiquement inefficace et socialement injuste.
Économiquement inefficace, car ces mesures d'austérité brutales freinent les investissements indispensables à la croissance et à la création d'emplois durables et génère davantage d'inégalités entre les populations et les pays. De plus, la spirale récessive induite par une politique d'austérité qui frappe les pays les plus fragiles réduira leur capacité de remboursement de leur dette. En effet, cette capacité dépend de la croissance — qui n'est pas encouragée par une politique d'austérité — et du taux d'intérêt de la dette résultant notamment de la prime de risque — qui n'a pas baissé de manière significative en dépit de plans d'austérité drastiques.
Socialement injuste, car ce sont les citoyens européens qui ne sont pas responsables de la crise qui paient le tribut le plus élevé, en particulier la jeunesse et des Européens déjà fragilisés.
Un objectif exclusif de réduction des déficits publics, contrairement aux avancées du nouveau Traité de Lisbonne et de la stratégie EU 2020, met en péril le modèle social européen et la consommation intérieure et rend impossible les investissements nécessaires à la réindustrialisation de l'Union européenne et donc sa compétitivité face à une économie mondialisée.
Par ailleurs, selon l'Organisation internationale du travail (OIT), l'amélioration de la compétitivité des exportateurs allemands, qui repose fondamentalement sur une politique de modération salariale, est une cause structurelle des difficultés de la zone euro, qui s'est traduite par la ruée des investisseurs sur le Bund allemand, et des taux d'intérêts négatifs à dix ans...
En raison de l'importance du commerce intra-européen, la transposition du modèle économique allemand (deux tiers exportation vers les pays de l'UE, moins de trois cinquième importation de pays de l'UE) à l'ensemble des États membres impliquerait un risque d'effondrement de la consommation intérieure dans l'Union européenne, et le risque non négligeable d'une augmentation de la pauvreté et des inégalités (1) .
Enfin, ces déséquilibres macro-économiques internes concernent également l'Union européenne au niveau mondial.
L'Union européenne représente 33 % du PIB mondial et cinq cent millions de consommateurs.
Pourtant, l'Europe est aujourd'hui la seule région du monde qui applique intégralement les préceptes du libre-échange, soumettant ses entreprises à une concurrence sociale et environnementale déloyale et les travailleurs de ces entreprises au risque des délocalisations.
Il apparaît que quelque deux cent septante-huit mesures protectionnistes ont été adoptées par les partenaires de l'Union depuis octobre 2008, dont nonante-deux par les seuls BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ! Les États-Unis sont également visés.
Dans ce contexte, il est temps de remettre à l'ordre du jour le principe de réciprocité. En effet, au cours de ces dernières années le débat européen a permis de faire connaître le principe de réciprocité et il convient maintenant de le mettre en œuvre concrètement, c'est à dire d'en définir les axes, les moyens, et de les mobiliser. Ce sera le meilleure manière de lutter contre les protectionnismes de plus en plus présents dans l'opinion publique. Cette réciprocité est la condition d'une ouverture équitable. Elle concerne notamment:
— les marchés publics;
— le contôle des investissements étrangers;
— le respect des grandes conventions internationales (travail des enfants, les réglementations de sécurité et de santé, les règles environnementales, ...) et les normes qui en découlent en imposant leur respect comme condition d'accès au marché européen;
— la propriété intellectuelle dont la protection doit être assurée;
— il convient aussi de s'assurer que les multiples protections non tarifaires ou les systèmes d'aide directes ou indirectes dont bénéficient nos concurrents sont soumis à l'appréciation de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui a la charge de vérifier leur conformité avec les règles du commerce international et d'en sanctionner les infractions. Ce qui ne devrait pas empècher l'Europe de décider de modalités particulières telles que prévue par l'OMC.
À cet égard, le rapport Caspary, adopté le 27 septembre 2011 à une large majorité par le Parlement européen, demande à la Commission européenne d'inclure de manière systématique, dans tous les accords de libre-échange qu'elle négocie avec des États tiers, une série de normes sociales et environnementales telles qu'énumérées dans la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) auxquelles s'ajoutent les quatre conventions prioritaires de l'OIT (ILO Priority Conventions). En matière environnementale et de respect des droits de l'homme, la norme minimale doit correspondre à la liste de conventions relatives à l'environnement et aux principes de bonne gouvernance, telle que prévue par le règlement européen sur le schéma de préférences tarifaires généralisées (SPG).
Aujourd'hui, et dans le contexte européen que nous connaissons et que nous venons de décrire brièvement, de nombreux acteurs économiques, académiques et politiques, conviennent qu'il est urgent de favoriser la réindustrialisation de l'Union européenne. En effet, le terme « politique industrielle » qui avait quasiment disparu du langage communautaire, reprend toute son importance et demande des investissements prioritaires dans les domaines de la stratégie européenne d'innovation, du capital humain et de la réorganisation des marchés internes et externes à l'Europe.
Après la « Stratégie UE 2020 pour une économie intelligente, durable et solidaire » adoptée en juin 2010, le Parlement européen a voté le rapport Lange pour la réindustrialisation de notre continent (2) . En juin 2012, le Conseil européen a également adopté le pacte pour la croissance et l'emploi qui vise à favoriser la croissance, à créer des emplois et à redynamiser l'économie européenne.
Ce 10 octobre 2012, la Commission européenne a présenté un ensemble de documents portant sur l'industrie en Europe. Elle a ainsi publié son rapport sur la compétitivité 2012 ainsi que son tableau de bord de la compétitivité industrielle des États membres. Deux documents qui lui ont permis d'identifier des mesures à prendre pour stimuler l'industrie européenne dans une perspective de croissance, comme la Commission les a formulées dans sa communication sur la politique industrielle.
Dans le cadre de son rapport 2012 sur la compétitivité européenne, elle a analysé les principales tendances observées en matière de mondialisation au cours des quinze dernières années, les coûts et avantages qui en résultent, de même que les défis à venir pour les entreprises de l'UE.
À cet égard, la Commission européenne a ciblé des mesures immédiates visant à faire passer la part de l'industrie dans le PIB de l'UE de 15,6 % aujourd'hui à 20 % à l'horizon 2020, notamment en identifiant six secteurs industriels prioritaires, en encourageant principalement les investissements dans les nouvelles technologies, en améliorant l'environnement des entreprises, en faisant en sorte que les compétences correspondent aux besoins de l'industrie et en facilitant l'accès aux marchés et au financement, en particulier pour les PME, notamment par l'amélioration de l'activité de prêt en faveur de l'économie réelle, en mobilisant et en orientant plus efficacement les ressources publiques, y compris celles de la BEI — qui devrait affecter entre 10 et 15 milliards d'euros à des prêts supplémentaires pour les petites et moyennes entreprises — et des Fonds structurels.
Pour les auteurs, il est crucial que la Belgique soutienne pleinement une position ambitieuse concernant la réindustrialisation de l'Union européenne: celle qui permet le développement d'une économie durable, qui préserve la consommation intérieure de l'Union européenne et assure un juste échange avec les pays tiers.
Dans ce cadre, la présente proposition vise à demander au gouvernement belge d'adopter une position ambitieuse au niveau européen qui vise à promouvoir la réindustrialisation de l'Union européenne, comprenant notamment la nécessité:
— de plaider pour l'exécution d'un plan de relance ambitieux de l'économie européenne qui permette la réindustrialisation de l'Union européenne;
— de défendre une coordination européenne des politiques économiques permettant de soutenir l'économie réelle et la consommation intérieure, à l'instar des efforts déjà accomplis en matière de coordination des politiques budgétaires et ce, en concertation avec le parlement européen, les parlements nationaux et les partenaires sociaux;
— de favoriser et de stimuler les investissements nationaux et/ou régionaux utiles à la réindustrialisation de l'UE, par exemple, en matière d'innovation, de recherche, et d'éducation;
— de lutter contre le dumping social et environnemental à l'intérieur et à l'extérieur des frontières de l'Union européenne, qui affaiblit la consommation intérieure, qui favorise les délocalisations d'entreprises, et qui place ces entreprises dans une situation de concurrence déloyale, en assurant notamment l'application du principe du juste échange;
— de soutenir la demande du parlement européen à la Commission européenne, contenue dans le rapport Caspary du 27 septembre 2011, d'inclure de manière systématique, dans tous les accords de libre-échange qu'elle négocie avec des États tiers, une série de normes sociales et environnementales, soit en matière sociale, les huit conventions fondamentales (Core Labour Standards) de l'OIT telles qu'énumérées dans la déclaration de l'OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998), les quatre conventions prioritaires de l'OIT (ILO Priority Conventions) pour les pays industrialisés, et en matière environnementale, la liste de conventions relatives à l'environnement et aux principes de bonne gouvernance, telle que prévue par le règlement européen sur le schéma de préférences tarifaires généralisées (SPG), ainsi qu'une liste de conventions additionnelles qui doit être mise en œuvre, de manière graduelle et flexible, en tenant compte de l'évolution de la situation économique, sociale et environnementale du partenaire concerné;
— de se prévaloir des exceptions au libre-échange prévues à l'article XX de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce de 1994, et de créer une contribution sociale et environnementale (CSE) flexible, dès lors qu'elle ne s'appliquerait qu'aux marchandises dont les modes de production ne respectent pas les normes sociales et environnementales minimales susmentionnées et/ou dans les cas où un pays manipule de manière manifeste son taux de change de manière telle à ce que la devise et donc le prix des exportations de ce pays sont sous-évalués, transitoire, car elle serait abolie le jour même où les conditions de sa mise en œuvre ne sont plus rencontrées, modulable, sur la base du calcul opéré par l'OMC pour évaluer la taxe compensatoire autorisée dans les cas de dumping, et solidaire, puisque son produit serait mobilisé partiellement dans le cadre de la ligne 1 A du budget européen (compétitivité pour la croissance et l'emploi) en vue d'atteindre l'objectif proposé par la Commission européenne que la part de l'industrie dans le PIB de l'UE atteigne 20 % en 2020 et de la ligne 4 (l'UE en tant que partenaire mondial) pour soutenir l'effectivité de ces normes sociales et environnementales minimales dans les pays tiers de l'UE;
— de renforcer la traçabilité des produits en imposant un étiquetage précisant les contributions effectives de chaque pays dans la fabrication de ces produits;
— de soutenir, enfin, la mise en place d'un cadre financier pluriannuel 2013-2020 qui permette de consacrer les moyens budgétaires nécessaires pour atteindre l'objectif proposé par la Commission européenne que la part de l'industrie dans le PIB de l'UE atteigne 20 % en 2020, notamment en réservant des marges financières suffisantes dans le cadre de la ligne 1 A du budget européen et en permettant d'affecter à cet objectif entre autres une part des revenus générés par la création d'instruments financiers innovants tels que les euro-obligations, les projects-bonds, la taxe sur les transactions financières, la souscription publique auprès des citoyens européens, ou encore la contribution sociale et environnementale (CSE) aux frontières de l'UE.