Nous avons étudié dans le premier manuel "Comptabilité
générale" deux types de modèles
comptables aux usages spécifiques pour l'entreprise :
la comptabilité générale, tournée vers des préoccupations
juridiques et fiscales, c'est-à-dire
notamment vers des problèmes de tactique relatifs à des
négociations avec l'extérieur ;
la comptabilité économique, et plus généralement les
"comptes de flux", instruments d'élaboration ou d'analyse d'une
stratégie globale sur plusieurs années.
Nous allons maintenant examiner un troisième modèle de
comptabilité d'entreprise, la comptabi-
lité analytique, qui est un instrument à usage interne
tourné vers la gestion de sous-ensembles
distingués dans l'activité de l'entreprise. Corrélativement,
il s'agit aussi très souvent du contrôle a
posteriori des responsables chargés de cette gestion.
Par rapport à la comptabilité générale, dont elle emprunte
les données au départ et avec laquelle
elle s'articule, la comptabilité analytique va se distinguer
techniquement par le fait qu'au lieu de
recenser des charges classées selon la nomenclature des
partenaires extérieurs à la firme : fournisseurs de matière première, banque,
prestataires de services, PTT, fisc, etc., c'est-à-dire selon
une nomenclature de charges par nature, les charges seront
reclassées et ventilées par destination. L'entreprise n'est plus considérée
comme une entité uniforme, mais comme un assemblage
complexe de moyens, de techniques, de responsabilités. Il ne
s'agit plus de savoir si telle charge
correspond à une facture payée à tel tiers, mais de
déterminer quelle part de cette charge peut
être attribuée :
à tel produit ou à telle activité,
à tel sous-ensemble de l'entreprise : usine, atelier,
machine, poste de travail,
à tel responsable.
Le Plan Comptable Général définit de la manière suivante
l'objet d'une telle analyse :
connaître les coûts
des différentes fonctions assumées par l'entreprise ;
déterminer les bases
d'évaluation de certains éléments du bilan de l'entreprise ;
expliquer les
résultats en calculant les coûts des produits (biens et services) pour les
comparer aux prix de vente correspondants ;
établir des prévisions
de charges et produits courants (coûts préétablis et budgets d'exploitation par
exemple) ;
en constater la
réalisation et expliquer les écarts qui en résultent (contrôle des coûts et des
budgets, par exemple) ;
d'une manière
générale, fournir tous les éléments de nature à éclairer les prises de
décision.
En résumé, la comptabilité analytique a quatre grands usages
distincts : justifier des prix de
vente, donner des éléments permettant de décider, fournir
des paramètres de contrôle, évaluer
des biens et des services. Chacun de ces usages renvoie à
des qualités spécifiques1 :
pour la justification de prix de vente, le coût de revient
doit être juste au sens de justice (notion de "juste prix") ;
les coûts critères de
décision doivent être justes au sens de justesse, par rapport à des normes
d'action propres au décideur ;
pour le contrôle, les
paramètres calculés, c'est-à-dire les coûts, doivent avoir des qualités de
fidélité et de sensibilité comparables à celles d'une
balance de Roberval ;
les coûts utilisés
pour l'évaluation d'éléments de patrimoine doivent quant à eux être confor-
mes à la loi, étant donné leur influence sur les résultats
fiscaux.
Mais comme on le verra, aucune modalité particulière de
calcul de coûts ne permet vraiment de
satisfaire à la fois à tous ces impératifs, et si la mesure
a été conçue en fonction de l'une des mis-
sions ci-dessus, elle sert plus ou moins bien les autres.
La mise en œuvre d'une comptabilité analytique coûte cher,
mobilise de nombreuses énergies,
implique des saisies spécifiques, donne lieu à tous les
niveaux à manipulation de très nombreux
documents, imprimés et fiches. Le poids d'un tel système
d'information et les habitudes qu'il gé-
nère conditionnent durablement le mode de pensée et le
comportement de chacun à l'intérieur de
la firme. Cette inertie explique la difficulté fréquemment
rencontrée lorsque, pour effectuer une
étude particulière, on recherche des informations que le
système ne fournit pas, n'ayant pas été
prévu pour cela2.
Ce cours a pour ambition de donner les définitions usuelles
et de décrire les principales méthodes de comptabilité analytique.
Dans le chapitre II, nous verrons comment s'organise la comptabilité
en coûts complets, système qui est historiquement le plus ancien et le plus
répandu, ne serait-ce que parce que la loi en impose le principe pour
l'évaluation des stocks et des éléments de patrimoine produits par l'entreprise.
Le chapitre III montrera comment les comptables ont tenté de
remédier aux inconvénients des coûts complets pour effectuer certains choix,
par l'analyse de la variabilité des charges et par la conception de deux
méthodes, le "direct costing", et l'imputation rationnelle.